Je suis nouveau sur ce forum et qu'est-ce que j'apprends? Qu'il n' y a jamais eu de débat autour de l'oeuvre de Scorsese?
Autant vous le dire, Scorsese m'a donné envie de faire du cinèma la première fois que j'ai vu les Affranchis à onze ans. Un ovni pour un môme habitué aux dramaturgies linéaires en trois actes avec présentation-développement- résolution.
C'est un patchwork- chronologiquement linéaire aussi- mais les séquences se suivent sans aucune autre fil conducteur que le thème-développe de façon délicieusement exquise et intelligente- que la corruption. Les histoires se suivent comme autant d'histoires ou blagues racontés autour d'une partie de cartes entre malfrats. c'est prenant, haletant et les dialogues sont parmi les plus drôles qu'il m'ait été permis d'entendre et surtout ils sont authentiques.
C'est ça qui est étonnant chez Martin, c'est que malgré une réalisation et un montage que j'aurais tendance à appeler anti-réaliste avec son montage virtuose, son rythme effréné avec un plan qui chasse l'autre, l'aspect aérien qui découle de cette frénesie d'intrigues et de motivations propres à chaque personnage, la BO sublime, la voix-off omniprésente distancié et ironqiue et terriblement drôle, il s'en dégage une authenticité telle que l'on est happé par l'histoire et qu'on en oublie les trois heures que dure ce film, son ambition de décrire la vie d'un homme sur trente ans et à travers cet homme la description du milieu mafieux mais en réalité, il nous dépeint le portrait d'une société maladivement consommatrice.
Se rappeler de cette séquence où la maîtresse du protagoniste principal joué par Ray Liotta présente sa baraque qui entre en résonance avec une autre scène ultérieur identique où cette fois, c'est la femme qui présente sa maison délicieusement kitsch à des amis.
Chez Scorsese, l'homme est corrompu ou y est prédisposé et ce film est le portrait d'un américain moyen, pas forcément méchant, qui est dans le milieu. Nulle grandiloquence ou mythologie chez les Affranchis à l'inverse du hiératisme du Parrain que je vois comme une tragédie grecque. Pour paraphraser Malraux, si Faulkner a introduit la tragédie grexque dans le polar, Coppola l'a introduit dans un genre bien précis: le film sur la Mafia.
Chez Scorsese, le mafieux est donc un type comme un autre, qui a des traites à payer, qui veut consommer comme tout le monde et qui ne rêve que de s'élever dans la société mais en passant par la porte de derrière. Nulle classe ne l'habite et même si ils portent des costumes à huit mille dollars, leurs manières les renvoient à leurs origines sociales et à la rue. Ils ne sont pas habités par la noblesse qui habitent celle des voyous de Coppola. pas de clichés, pas d'opéra, pas de pastas.
Chez eux, ils sont en jogging, ils bouffent gras et ne sortent jamais de chez de leur quartier. la séquence du Copacabana est géniale à cet égard. On le voit lors d'un long plan-séquence en steadycam entrer dans la boîte de nuit la plus célébre au monde à l'époque- où se produisaient entre autres Dean Martin et Jerry Lewis et qui appartenait à la famille de Chicago et à Vito Genovese- alors que les citoyens lambdas attendent dehors et font la queue pour y entrer, il entre par les cuisines avec sa petite amie et future femme pour se retrouver au premier rang avec une bouteille de champagne offerte par d'autres gangsters. Tout est dit!
Cet aspect terre à terre de la condition de malfrat n'existe pas dans le Parrain. Il n' ya pas de réunion au sommet entre parrains pour discuter des territoires à départager pour le contrôle du trafic de drogue. le parrain du quartier manoeuvre plutôt pour s'accaparer un restaurant! Dans ce film tout est frappé du sceau de l'authentique et du réel . Il n'y a pas d'amitié ni même de loyauté. La trahison est omniprésente mais n'est pas magnifié comme dans le parrain par l'importance des sommes en jeu ou le jeu de motivations complexes. On trahit parce qu'on ne veut pas partager l'argent avec les complices du braquage de la Lufthansa. voilà tout! le personnage joué par De Niro ne veut pas partager donc il tue ses complices dont certains qu'il connaît de longue date et avec qui il a partagé fêtes, mariages, baptêmes. et quand le protagoniste est finalement arrêté, il décide de trahir ses amis pour éviter de faire de la prison.
Dans son monologue à la fin, nuls remords ne habitent mais juste le regret d'une vie trépidante de star de cinéma à poigne qu'il abandonne à contre-coeur. On tombe ici dans le domaine du conte noire.
Il s'agit du film sur la corruption, mise en scène et traité de la façon la plus pertinente et la plus intelligente qui soit possible en justement laisser les faits parler pour eux mêmes, nulle didactisme, nulle discours asséné( la voix -off y est pour beaucoup en tant que contrepoint distancié et drôle), rien à voir avec Flandres qui traite de la bestialité humaine et de la corruption qui se niche en chaque homme mais qui le traite avec une absence de finesse et d'intelligence en martelant un discours simplistes avec une façon de filmer tellement épuré qu'elle en devient pompeux.
Scorsese a réussi le tour de force de traiter de ce thème avec brio tout en expérimentant de nouveaux dispositifs formelles, la virtuosité des Affranchis tient moins au cadrage et à la composition des plans qu'à la virtuosité du montage à l'inverse de Michael Mann.
Scorsese st en cela l'héritier de l'école soviétique et d'Eiseinstein chez qui prévaut le primat du montage comme révélateur de sens. J'ai chez moi Voyage au coeur du cinéma américain et italien de Scorsese où ce dernier présente les films qui l'ont marqué et procède à l'analyse de certaines séquences de ces films, et ce qui est remarquable chez cet homme et sa capacité à assimiler tous ses films différents pour en tirer une matière nouvelle pour ses propres oeuvres. Une cinéphilie, qui loin d'être confiné aux champs arides de la critique et de l'analyse filmique, est exploité de façon nouvelle pour de nouvelles formes de mise en scène comme la voix-off ironique qui a été utilisé la première fois dans un film anglais( je ne me souviens plus du nom) et qu'il a réutilisé dans les Affranchis.
Pour finir, Scorsese ne croit pas à la dramaturgie et au scénario telle enseigné par Syd Field et les Affranchis apportent la preuve que l'intrigue d'un film ne se résume pas à une présentation-exposition- résolution mais en une suite de séquences à fort enjeu dramatique qui font sens indépendamment et dont un thème peut être dégagé d 'abord puis mis à bout à bout révèlent une autre signification et une autre dimension à l'histoire traitée
Tout ça pour dire que je vous recommande vivement d'explorer l'oeuvre de ce grand cinéaste qui a réalisé des oeuvres auteurs avec les moyens des grands studios et le mérite n'en est que plus grand.
**Edit par Baptiste***
Post corrigé (en partie seulement), merci de te relire et de faire attention à la présentation. Sinon bravo pour ton long essai sur Scorsese 