Aller au fin fond de soi-même

[Lucius]

Cet été, je suis allé au festival d'Avignon, et j'ai eu la chance de faire un atelier d'expression dramatique avec Edward BOND, sans doutes le plus grand auteur dramatique anglais actuel, et l'un des plus grands en matière de théâtre contemporain, incontestablement. Peu d'entres eux le connaîtrons ici, car le théâtre n'est pas un domaine très médiatisé, mais ceux qui en sont passionnés savent que c'est un très grand monsieur, une très grosse tête.

Son oeuvre est profonde, violente, dure et poétique à la fois, claire dans son message, elle s'adresse au plus grand nombre. Elle est monumentale, comme la présence de cet homme fait à elle seule le silence quand il se présente. Et pourtant, cet homme qui fait partit des plus grands auteurs, n'est pas un intellectuel : viré du parcours scolaire après son collège, travailleurs d'usine pendant des dizaines d'années, il n'a commencé à écrire qu'assez tard, sans grandes références culturelles. Pourquoi je dis ça ? Parce que ce que j'ai appris en faisant cet atelier de deux après-midi plus que je n'en ai jamais appris en matière de création : la création n'est pas liée à l'intelligence.

Au contraire, il faut abandonner la rationalité et la logique, car l'acte de création passe par l'imagination, et l'imagination est obstruée par cette intelligence que nous prônons sans cesse, cet esprit d'analyse et d'auto-critique, voir d'auto-censure. J'ai appris à m'abandonner et à parvenir à des lieux très profonds en moi que je n'avais jamais pu atteindre avant, en gros, j'ai appris ce que c'est qu'un véritable "brainstorming", et j'ai compris que cette méthode que l'on relège souvent à quand on a pas d'idées est en fait le moyen le plus essentiel de la création.

Comme il s'agissait ces deux fois là de jouer, la création était corporelle, c'était celle de l'acteur. Je devais avoir peur d'une couverture. Oui ! Je devais jouer quelqu'un qui est terrifié au possible par la couverture, et qui finit pas se décider à danser avec. Rien de plus illogique. Pourtant, tout ceux qui ont acceptés dans la salle que Bond ne se moquait pas de nous n'ont jamais aussi bien jouer de leur vie, et moi le premier. Depuis je répète cette façon de faire dans tous mes actes de création, j'ai appris qu'il y avait des écritures qui se basaient sur ce principe entre autres. Je ne créer pas plus, au contraire, j'ai maintenant encore plus de mal qu'avant à écrire ou à inventer, mais quand j'y arrive je sais que je le fais mieux. Nos meilleures idées viennent de très loin en nous, elles ne sont pas guidées par la réflexion, mais par l'écoute de soi-même, car nous sommes des mondes à nous tout seuls.

Aussi j'écris ici mon témoignage en espérant que d'autres écrivains amateurs essaieront de plus se concentrer sur eux mêmes que sur leur intelligence. Ecrire n'importe quoi sur une feuille sans se passer d'injures, de propos racistes, sexuels ou autres (puisque ce n'est pas l'intelligence qui parle on peut tout se permettre) permet souvent de plonger au coeur du sujet avec excellence. C'est génial pour les dialogues, pour la poésie, pour la narration...