Le grain de l'image

[Nathan]

Pourquoi un réalisateur (en accord ou non avec son chef-op) peut-il désirer avoir une image granuleuse ou non ? la question est vague, j'en suis conscient mais je me demande toujours pourquoi certains films ont pas mal de grain sur leur image. En quoi cela renforce-t-il le ou un message d'un réalisateur ? et, est-ce lui qui choisit ou plutôt le chef-opérateur ?
personnellement j'aime beaucoup le grain mais, je ne pourrais pas justifier sa présence dans les films que je tourne... si quelqu'un peut éclairer ma p'tite lanterne... quelqu'un qui a déjà réalisé et qui a souhaité une image granuleuse... il y en a ici ???
merci beaucoup d'avance !

[Baptiste]

Question intéressante Nathan, je pense que seventy te répondra mieux que moi. Pour ma part si je pense image granuleuse la première image qui me vient à l'esprit est Breaking the Waves de Lars von Trier. Mais il y en a beaucoup d'autres. Je me rappelle aussi de Louise Take II de Ziegfried...

Le grain peut aussi être très beau avec le noir & blanc par exemple. Il me semble que c'est le cas dans Aaltra.

Baptiste

[Mister Cineaste]

Oui Baptiste, tu as raison, Seventy est le mieux placé pour répondre ...
Je n'ai vu que quelques extrait de Aaltra et comme tu le fais remarquer ça a l'air d'être le cas ...
Sinon ... J'ai toujours pensé que le grain était du au choix de la pellicule choisi ? c'est le cas non ?

[seventy]

Il y a du vrai dans tout ce que vous écrivez. Je vais tenter de développer.

En fait le grain peut venir d'un choix artistique, le chef op en accord avec le réal décide de tourner avec une émulsion (pellicule) avec beaucoup de matière d'image (grain). Dans ce cas là, c'est vraiment un choix qui à mon avis est plus sujectif car il n'a pas un impact direct sur le message du film.
Le chef op peut travailler son image en fonction du grain, en choisissant une exposition adéquate si il veut une "montée de grain" ou au contraire une "diminution du grain". Le grain d'une émulsion n'est pas uniforme.

Maintenant le grain est souvent à relier avec une volonté de retrouver l'esthétique de films des années 60 fait avec peu de moyens et donc une grande liberté de "mouvements".

Bien souvent le grain vient aussi de contraintes économiques : la production a peu de moyens, donc peu de matériels pour éclairer, peu de temps pour travailler la lumière, donc le chef op décide de prendre une émulsion très sensible pour obtenir le rendu dans des conditions techniques difficiles, ce qui implique du grain.
Beaucoup de "petits films" en terme d'économie sont tournés en 16 mm (super 16 - 1,66) et ensuite on fait un "gonflage" en 35 mm pour une sortie en salle, le fait de passer du 16 au 35 accentue la montée du grain.

Le grain des émulsions a énormément diminué ces dernières années. Il devient maintenant difficile d'obtenir du grain, un comble !

Avec le développement de la HD, les fabricants de pellicule (Kodak et Fuji, les deux principaux fabricants d'émulsions négatives) ont sortis des pellicules de plus en plus "fines" et de plus en plus "piquées", du coup il devient difficile d'obtenir une belle matière d'image car le grain participe à l'humanité et l'émotion du film.

Il n'y a qu'à voir la différence HD / Pellicule, la HD justement n'a pas de grain et est très piquée, ce qui rend les visages des comédiens un peu "morts"...

J'espère avoir un peu "éclairé" votre lanterne !!!

[Nathan]

ouaip merci. c'était justement le fait de savoir si c'était un choix artistique (j'étais au courant du choix économique) ou un choix pour faire passer un message (dans ce cas, je crois que ça aurait été toujours un peu flou).
mais, en tant que réalisateur, comment "guider" le chef opérateur sur la quantité de grain voulue ??? s'il veut une image très granule ou très peu voire pas, ça va mais bon... si je me prend comme exemple (ce sera peut-être plus simple pour faire comprendre ce que je veux dire...), je voulais faire un film en s16mm avec une image noir et blanc et je voulais un côté granuleux. cependant, je n'en voulais pas trop et je ne voulais pas non plus que ce côté granuleux ne se remarque pas... trouver un juste milieu qui me convient... faut-il être caler au niveau des pellicules ? je ne crois pas, non ? c'est le chef-op qui choisit la pellicule avec laquelle il veut bosser ?

[seventy]

Oh làlàlà, faut rester simple !!!! Je pense qu'en tant que réalisateur, il faut pas te prendre la tête sur la quantité de grain que tu désires, ce n'est pas quantifiable avec des mots (avec des chiffres oui, mais quel intérêt ?), c'est plus subjectif, est-ce que l'image te plaît ou pas ?

Faut que tu regardes avec ton chef op des films qui t'inspirent pour ton travail et discuter avec lui du pourquoi ... Quel enseignement tiré de tel ou tel film dans le cadre de ton projet, sur le grain, le contraste ou autre chose. C'est le chef op qui décide, en fonction de vos dicussions et des impératifs de production, quelle(s) sera ou seront les émulsions. A mon avis tu dois partager avec lui une vision artistique, après le reste c'est de la cuisine technique...

Pour ce qui est du noir et blanc, il existe plusieurs émulsions chez Kodak (Plus X et Double X), elles sont toutes les deux très belles et ont du grain surtout la Double-X plus sensible et Tri-X en inversible. Donc si tu veux du "vrai noir et blanc, voilà le choix... Le fait de tourner en "vrai noir et blanc" permet de travailler le contraste en filtrant à la prise de vue, à l'ancienne.
Si tu tournes en couleur (tu auras plus de choix car il existe une gamme de négatives plus importante de 50 Asa à 800 Asa) et ensuite tu tires sur positive noir et blanc, tu n'obtiendras pas le même résultat, ça sera plus commun comme image, plus propre...
Peut-être moins de charme, c'est subjectif !

[Nathan]

ouais, ok, merci... moi, j'aime beaucoup l'image de The Barber des frères Cohen qui a d'abord été tourné en noir et blanc et j'ai longuement hésité sur comment tourner... de toute façon, le film est reporté