Moi la première chose que j’ai remarqué, en comparant des scénarios rédigés par des professionnels avec ceux de scénaristes débutants, c’est la différence de fluidité. Je m’explique;
Un scénario professionnel, en dehors du fait que l’histoire soit intéressante ou non, que le découpage soit bon ou pas, a cette particularité de pouvoir être lu quasiment au même rythme que si on visionnait le film. Pour arriver à ce résultat, il faut bien entendu respecter les règles de base, mais il faut surtout rédiger des phrases qui soient à la fois agréables à lire, concises et tournées de façon à ce que le spectateur s’imagine rapidement la scène. Loin de vouloir décourager les scénaristes débutants, je dis que la rédaction d’une bonne didascalie est loin d’être évidente et peut s’avérer parfois aussi difficile que la rédaction d’un bon dialogue. A l’inverse je dirais qu’il ne faut pas forcément être doué sur le plan littéraire.
L’art de la didascalie peut s’acquérir jusqu’à devenir naturel. Mais pour y arriver, il faut passer par quelques méthodes d’entraînement. Premièrement, il faut lire. Beaucoup lire. Des scénarii si possible (une denrée rare dans notre langue), mais surtout des romans. Ca peut paraître paradoxal mais pour savoir tourner une phrase qui ne doit avoir aucune valeur littéraire, il faut au contraire se plonger dans la lecture des romans. Pourquoi ? Parce qu’une majeure partie des auteurs n’emploient pas forcément de grandes tournures. Si on prend un auteur de romans policiers, la teneur même de ses livres tient dans l’histoire plus que dans son style. Lisez un Harlan Coben par exemple. Lisez un passage ou un chapitre entier et vous constaterez que vous avez vécu la scène comme si elle était à l’écran. Sauf quand cet auteur raconte l’histoire à la 1ère personne, il décrit l’action avec des phrases simples et courtes, mais suffisamment bien tournées pour que le lecteur imagine la scène. Idem pour le style littéraire de J.K Rowling dont l’immense succès repose en partie sur sa facilité de lecture. Je n’ai lu aucun des Harry Potter car je n’accroche pas à ce genre de récit. Mais j’ai parcouru la première page du tome 7 (ou le 6 je ne sais plus) et j’ai été sidéré par facilité avec laquelle l’auteur nous décrivait, en quelques mots, cette rencontre entre deux sorciers sur un chemin.
En fait le truc, si on peut parler de truc, c’est de se fonder sur le principe de l’ellipse. Inutile de décrire à la virgule près ce que l’on voit à l’image. Il faut faire confiance à l’imagination du lecteur qui comblera naturellement les manques et imaginera d’autant plus facilement la scène qu’elle se calquera sur sa propre vision des choses. Ce principe sera d’autant plus efficace si le lecteur est un professionnel (un producteur par exemple) habitué à lire scénarios.
Pour exemple je prendrai le tout début du scénario mis en ligne par Ludéméter sur ce sujet. Au passage, je tiens à signaler que ce morceau de script a beaucoup de qualités, et que même si je l’ai pris pour exemple, il est plutôt prometteur. Le forum est bourré d’exemples comme celui-ci. C’est un défaut de jeunesse. J’ai du moi-même en truffer mes nombreuses tentatives de scénarii.
La première didascalie est celle-ci :
Ce qui me gène, c’est la troisième phrase. Je suppose que le but est de montrer que la protagoniste écrit à l’aide d’une plume, ce qui nous projette d’emblée à une certaine époque. La phrase dans son état est trop lourde et trop démonstrative. Un producteur repérera tout de suite un certain amateurisme. L’idéal serait d’écrire « ELISABETH DELANGIER écrit une lettre », tout simplement, voire même d’en profiter pour décrire succinctement ELISABETH dans cette même phrase. Maintenant le fait que celle-ci utilise une plume pour l’écrire pourrait être en partie déduit de la présence du "pot d’encre" (plutôt un "encrier") dans la phrase précédente. Et pour être certain que le lecteur situe cette scène à la bonne époque, la description vestimentaire d’ELISABETH aiderait dans ce sens.Quelques étagères de livres. Un pot d’encre, du papier à lettre, une enveloppe et une lampe posées sur le bureau. ELISABETH DELANGIER écrit une lettre, elle trempe la plume dans l’encre à plusieurs reprises.
Personnellement je ne sais pas comment tourner autrement cette didascalie. Je n’ai pas encore le truc ni l’expérience pour le faire, ce qui explique en partie pourquoi je n’ai toujours pas abouti dans mes propres projets. Ce que je sais c’est que la lecture du scénario de Ludéméter sera considérablement pénalisée par ces quelques défauts et qu’un producteur préfèrera certainement jeter le script plutôt que de faire l’effort d’aller au bout, et ce même au risque de passer à côté d’une très bonne histoire.