
- LA COMÉDIE
1.La distance comique
C’est le mécanisme fondamental de la comédie.
Distance comique = capacité à instaurer une distance entre nous et les événements afin d’en rire.
CF : M. Brooks « Je me coupe le doigt, c’est un moment tragique. Je tombe dans un égout, c’est un moment comique. »
Pour écrire une comédie, il faut saisir cet effet de distance comique. On peut conserver cette distance ou l’annuler.
- La nécessité de conserver une distance comique.
Afin de prendre du recul et de rire d’une situation (Position de voyeur). On peut rire sans que cela prête à conséquences.
La comédie est souvent engendrée par une certaine souffrance. Prendre de la distance permet d’en rire. (Cf Ben Stiller dans « Mary à tout prix ». Il se coince le sexe dans la fermeture éclair et on en rit. Si ça nous était arrivé, on aurait certainement pas ri. )
Comment conserver la distance comique ?
- En jouant sur l’aspect visuel. (Cf, les clowns qui font rire par leur accoutrement. La tradition des clowns repose sur un humour physique d’exagération).
C’est un héritage des comédies grecques et romaines.
Des actions ou événements excessifs peuvent aussi contribuer à créer une distance comique (cf « Bip bip le coyote » ou les personnages de dessins animés. Gros minet qui tombe dans un précipice et s’écrase. Il se retrouve aplati comme une crêpe…). C’est le principe de l’exagération. On exagère un moment de souffrance qui du coup, devient irréel et engendre une distance.
- Développer la tare risible d’un personnage peut aider à établir cette distance. C’est à partir de cette faiblesse que le personnage perçoit le monde. Le caractère exagéré de son défaut (qui peu aussi être un don ou un talent) nous aide à conserver une certaine distance, tout en nous rassurant parce qu’il n’est pas parfait. (Cf le nez de Cyrano dans Cyrano de Bergerac, la crétinerie voire la maladresse d’Austin Power etc…). Le public s’identifie alors.
Le fait d’établir une distance comique ne suffit pas à créer une histoire comique satisfaisante.
- La nécessité de briser cette distance comique
En brisant cette distance comique, on crée une identification immédiate avec un personnage. On ressent sa souffrance, on s’identifie et on a envie qu’il réussisse, qu’il atteigne son but.
(Cf les premiers courts-métrages du temps de Griffith, mais aussi Chaplin et Keaton qui ont employé ce procédé double de l’identification comique, afin de permettre une identification du spectateur au personnage.)
Exemple : dans « Le mécano de la générale », Buster Keaton joue le rôle d’un ingénieur des chemins de fer du Sud, qui doit sauver son deuxième amour (un train) d’une bande de soldats de l’Union qui s’en sont emparés.
Cette histoire est sur la mode héroïque, mais Keaton demeure sans arrêt pince sans rire, ce qui permet au spectateur de ressentir ses émotions. Buster Ketaon place toujours son héros dans une situation extrême où il se doit d’être héroïque.
Charlie Chaplin, au contraire, maintient la distance comique par le choix des costumes et de ses bouffonneries, mais aussi par les ingéniosités de son personnage, un vagabond et un anti-héros absolu. De plus, il utilise le gros plan, qui permet d’être plus proche du personnage.
Ces deux approches, Keaton ou Chaplin, rompent la distance comique et nous permettent de rire, le temps d’un film.
Mais il existe d’autres techniques pour rompre la distance comique (CF Woody Allen dans « Annie Hall » ou la narration en voix-off de Bridget Jones quand elle confie ses secrets à son journal dans « Le journal de bridget Jones ») Ainsi, on s’identifie au personnage.
2. Effets de surprise et de suspense.
Thriller et comédie, bien que différents, reposent sur l’effet de surprise et de suspense.
Dans le thriller, la chute dramatique joue sur la peur et le suspense, dans la comédie sur le rire.
- Le suspense et l’inéluctabilité
Le suspense implique que le public s’attende à un événement nécessaire. Les spectateurs connaissent certains détails de l’intrigue que certains personnages ignorent. Ils éprouvent donc le caractère inéluctable de certains événements. (Cf Tootsie. Le spectateur sait que Dorothy est en fait Michael et que si on le découvre, il perdra son rôle de vedette de soap et donc son travail. Cet élément narratif devient alors dramatique et donc source de suspense. La révélation du déguisement deviendra alors un moment fort de comédie).
- La surprise consiste en un événement inattendu
La surprise se produit lorsqu’il arrive un événement dramatique auquel le public ne s’attendait pas.
Le suspense et la surprise peuvent être utilisés pour tromper les spectateurs afin qu’ils s’attendent à certaines chutes dramatiques qui n’auront pas lieu. Une fois inversées, elles produisent un effet de surprise d’où naîtra le rire.
(Cf le gag de la maison détruite dans « La maison démontable », court-métrage de Buster Keaton). Un élément de suspense peut et doit être établi au préalable. Ce peut être un objet ou un accessoire. (Cf Tchekhov « Si on utilise un révolver au premier acte, on a intérêt à l’utiliser avant la fin de la pièce »).
Exemple : dans « Charlie et la chocolaterie », Charlie ne trouve pas le ticket en or dans la première tablette de chocolat, ni dans la deuxième. Par contre, dans la troisième tablette qu’il achète, alors qu’il est trop tard – les 5 tickets en or ont été trouvés par des enfants et il n’a plus aucune chance de gagner -, il trouve quand même un ticket en or (en fait, le dernier enfant qui prétendait avoir trouvé le dernier ticket, a menti).
Le suspense et la surprise nous permettent de mieux comprendre le mécanisme de toute plaisanterie et de la comédie.
On distingue deux moments dans une plaisanterie :
- L’amorce.
- La chute dramatique ou comique.
Le fait d’incorporer des effets de suspense et de surprise, nous permet de voir ces deux moments sous un autre angle :
- A quoi le public s’attend-il ? A l’élément de suspense, inéluctable (amorce)
- Que se passe-t-il ? La surprise, l’inattendu et l’incongru (la chute dramatique)
CF le gag dans « La maison démontable » de Buster Keaton.
Première partie du gag :
A quoi s’attend-on ? Le train va détruire la maison.
Que se passe-t-il ? Le train évite la maison.
Deuxième partie du gag :
A quoi s’attend-on ? Buster et sa femme ont sauvé la maison. Il suffit de la déplacer hors des rails.
Que se passe-t-il ? Un deuxième train auquel on ne s’attendait pas traverse la maison.
Mais afin que la plaisanterie fonctionne, il faut établir un 3ème élément : ce que le public sait. Ici, le gag marche parce que le public ignore qu’il y a une deuxième voie ferrée, mais surtout parce que Keaton et le public ignorent qu’il y a un deuxième train. C’est un gag très physique, gags qui marchent généralement bien.
Cf, le célèbre gag des « Aventuriers de l’arche perdue ».
Indiana se bat contre un Arabe géant, muni d’une épée. Indiana n’a qu’un fouet pour se défendre. Il réfléchit longuement (l’effet du temps est ici primordial), puis sort un pistolet et l’abat. Comme on n'avait pas vu le pistolet auparavant, l’effet de surprise est immense et provoque le rire.
Quoi qu’il en soit, il faut préparer les éléments du gag visuel au préalable. Idem pour les plaisanteries verbales.
En comédie, on travaille souvent avec le mensonge (on trompe le spectateur), il faut être capable d’évaluer ce que le public sait et ce qu’on doit lui dire (montrer) au préalable, afin d’établir de façon efficace la dimension comique. Cela donnera de l’ampleur à la chute comique.
Illustrons notre propos en utilisant une blague d’enfants.
Question : Quelle heure est-il quand un éléphant s’assoit sur la barrière ?
Réponse : C’est l’heure d’en acheter une autre.
A quoi s’attend-on ? On s’attend à ce que la personne donne une heure précise.
En fait, non : on apprend que l’éléphant détruit la barrière, ce qui est inattendu comme réponse. C’est une chute !
Le succès d’une plaisanterie ou d’un gag dépend de ce que le public sait et dans cet exemple précis, c’est pourquoi cette plaisanterie marche si bien.
De plus, la réponse est accessible pour les enfants.
- La règle ternaire magique : anticipation et incongruité.
Il s’agit d’une série d’événements, d’actions, de réactions ou de phrases de dialogues répétées trois fois.
Les première et deuxième fois, on voit le même événement. Mais la troisième fois nous révèle la chute dramatique : un renversement ou un effet de surprise.
Le premier moment de ce rythme ternaire comique sert à établir l’élément dramatique : une action, une phrase de dialogue etc…
La deuxième fois, nous voyons le même événement ou phrase, ce qui établit un schéma récurrent. La répétition détermine une attente.
La troisième fois, le public s’attend à revoir ce même événement, ou à entendre la même phrase, mais l’auteur fournit un élément inattendu, ce qui crée un effet de surprise. On établit une logique et on la désamorce.
Exemple : « Quatre mariages et un enterrement » : le réveil qui sonne chaque début de matinée où le héros se rend à un mariage et où il est témoin. La troisième fois, c’est lui qui se marie.
(Cf jeux d’enfants avec le mouchoir.)
Exemples :
- Le gag récurrent
On utilise de nombreuses répétitions d’événements, ou de comportements (Cf chez Chaplin, ou dans « un poisson nommé Wanda » (le chien de la petite vieille qui se fait sans cesse tuer) ou encore même dans « La panthère rose » ou encore dans « Snatch »
- La cerise
C’est la ponctuation finale d’une plaisanterie. Au cours d’un dialogue, d’un échange verbal, la cerise c’est le dernier mot ou le gag ultime.
Cela peut aussi être la ponctuation d’un gag physique.
Cf dans « La maison démontable », Buster Keaton, en voyant les dégâts causés par le train, pose un panneau à vendre sur les débris de sa maison, mais surtout (cerise), il laisse les instructions pour la reconstruire.
Dans « Madame Doubtfire » ou dans « Tootsie », une action visuelle parachève l’échange verbal. Michael Dorsey, qui a du mal à croire que son agent ne lui trouve pas de travail, termine un entretien avec lui par un « Ah vraiment ? » plein de défi.
La cerise se produit dans la scène suivante. C’est une cerise visuelle. Michael Dorsey arpente les rues encombrées de New-York, habillé en Dorothy Michaels, et « elle » se rend à une audition.
Pour ceux qui veulent s'essayer à ce genre, voilà un petit Exercice sympa à faire :
- Créez une scène, avec une situation comique utilisant le procédé de la règle ternaire, soit par le procédé de la répétition classique par le gag récurrent, puis par la cerise.
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